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Les relations amicales, clé d’une intégration réussie

*Ce texte fait référence au Québec, mais est transposable partout au Canada!

La « recette » d’une immigration réussie soulève encore des débats, à Québec comme à Ottawa. Une affaire d’emploi, de langue ou de diplôme ? Et si c’était plutôt une question… d’amitié ?

Le Québec pourrait accueillir en 2022 quelque 70 000 immigrants, si l’objectif fixé par le gouvernement Legault l’automne dernier est atteint. Parmi eux, 18 000 feront partie d’un « rééquilibrage » dû à la pandémie, durant laquelle le nombre de nouveaux résidents permanents a été réduit. N’empêche, cela constituerait un record au Québec.

L’intégration des néo-Québécois est souvent présentée sous son aspect économique, mais pour Marina Doucerain, elle-même immigrée française, c’est d’abord une affaire d’amitié : la création d’un réseau social est étroitement liée à la création d’un sentiment d’appartenance à la société d’accueil.

Professeure de psychologie sociale à l’UQAM et directrice du laboratoire CIEL – Culture, Identité et Langue, elle a fait des relations intergroupes et des différentes formes de contacts sociaux des personnes immigrantes ses sujets de prédilection. Elle aborde ainsi l’enjeu de l’immigration sous l’angle psychologique. Marina Doucerain a notamment étudié la perception de la discrimination chez des Montréalais d’origine maghrébine et le rôle des liens amicaux dans l’adaptation d’immigrants russes au Canada.

Selon elle, des liens sociaux forts sont essentiels pour réussir à s’adapter à sa société d’accueil. Mais au Québec comme ailleurs, la création de ces liens amicaux est compliquée par des facteurs psychologiques et sociaux.

Quelle importance ont les liens sociaux dans une immigration réussie ?

On a souvent une vision très mécanique du processus d’immigration : un emploi, check, un logement, check, et c’est réglé. Le processus va cependant bien au-delà. Les participants à nos études le disent toujours : les aspects logistiques sont un point de départ nécessaire. Mais une fois ces aspects résolus, ils ont besoin de se créer de nouveaux liens sociaux. Les sentiments d’ancrage et d’appartenance, la capacité de dire : « Je suis bien ici et j’ai ma place » sont incontournables pour l’intégration. Et ils viennent en grande partie du fait de bâtir des relations sociales épanouissantes, avec des gens proches avec qui on peut partager et discuter.

Parmi les facteurs qui compliquent les contacts entre nouveaux arrivants et membres du groupe majoritaire, vous mentionnez l’anxiété interculturelle. De quoi s’agit-il ?

Lorsqu’on rencontre une nouvelle personne, on passe beaucoup de temps à établir un terrain commun. De manière implicite et inconsciente, on échange de petites choses pour être sûr qu’on a la même vision du monde et qu’on est sur la même longueur d’onde.

C’est généralement beaucoup plus facile de trouver ce terrain commun si on est issu du même groupe culturel : on a sensiblement les mêmes normes sociales, les mêmes repères et références. On a une bonne idée de qui est la personne devant soi, de ce qu’elle est susceptible de penser et de ressentir dans certaines situations.

Dans un cas de communication interculturelle, ce terrain commun se définit plus difficilement. C’est comme essayer de naviguer dans un nouvel endroit sans carte. C’est beaucoup plus exigeant. Si on ajoute les appréhensions de discrimination, d’incompréhension et de rejet qui viennent avec le processus d’immigration dans une nouvelle société, ça rend le tout encore plus anxiogène.

Est-ce suffisant pour décourager des gens de communautés différentes de fraterniser ensemble ?

Oui, à moins d’avoir une grosse motivation à surmonter cette peur naturelle. C’est là qu’il y a un déséquilibre entre les nouveaux arrivants et les gens du groupe majoritaire. Si on est un nouvel arrivant, dans bien des cas, il faut refaire tout son cercle social. Anxiété intergroupe ou pas, on n’a pas le choix. On est donc très motivé à essayer et à continuer même si ça ne fonctionne pas du premier coup. À l’inverse, les gens du groupe majoritaire n’ont pas ce besoin-là. Ils sont nés ici, ils ont leur famille et leurs amis ici, toute leur infrastructure sociale est déjà en place. Pour eux, il n’y a pas ce besoin profond de créer de nouvelles relations sociales. La motivation à surmonter l’anxiété interculturelle est moins grande.

Est-ce pour ça qu’il semble plus difficile pour les nouveaux arrivants de se faire des amis parmi les Québécois que de tisser des liens avec des gens de leur communauté d’origine ou d’autres immigrants ?

C’est un facteur mentionné très fréquemment par les participants à nos études. Ils ont beaucoup de difficulté à nouer des liens avec des gens du groupe majoritaire. C’est toujours la même histoire qu’on entend : les Québécois sont très accueillants et gentils, mais ça reste superficiel. Une incompréhension demeure. Certains groupes mettent plus de temps pour vraiment accepter quelqu’un dans leur intimité, leur cercle social proche. C’est un enjeu qui est ressenti par les immigrants dans beaucoup d’endroits.

Quelles conséquences peut avoir ce sentiment d’exclusion ?

Toute personne qui se sent mal psychologiquement a aussi un effet sur la société. Cela a une incidence sur la productivité, l’absentéisme au travail, la créativité, etc. Ces gens sont moins heureux à la maison, plus stressés, il y a des répercussions sur les conjoints, les enfants et l’ensemble des relations sociales. Tout cela a un coût humain et financier.

Dans le cas précis de l’immigration, à force de se buter aux mêmes obstacles, certaines personnes peuvent jeter l’éponge et se replier sur leur propre groupe. Malheureusement, je l’ai souvent observé. Une forme de ghettoïsation en résulte et ce n’est jamais souhaitable.

On peut penser à des scénarios plus extrêmes, où s’installe une forme de marginalisation. La perte de sens, le sentiment de ne se sentir à sa place nulle part, c’est le genre de choses qui peuvent mener à des formes de radicalisation. Le besoin d’appartenance est tellement fort et fondamental chez l’être humain qu’on va le chercher, et parfois le trouver, dans des groupes radicalisés qui font miroiter cette solution.

Quels mécanismes la société d’accueil peut-elle mettre en place pour favoriser les contacts avec les nouveaux arrivants ?

Je crois beaucoup à des méthodes comme le mentorat et le jumelage avec des Québécois « de souche ». Ça peut prendre plusieurs formes, au travail ou à l’école, par exemple, mais ce sont des approches qui peuvent réellement aider à nouer des contacts. L’idée, c’est de transmettre des connaissances sur la culture locale et le fonctionnement de la société d’accueil aux nouveaux arrivants.

Il y a aussi un aspect urbanistique à cette question. Les quartiers conçus pour les piétons sont des endroits où les citoyens ont tendance à avoir un plus grand sentiment de communauté et d’inclusion, principalement parce qu’ils croisent des gens, des voisins comme des inconnus, dans leurs déplacements de tous les jours. À l’inverse, dans des environnements où il faut prendre son auto pour tout, on ne risque pas de rencontrer beaucoup de monde et d’apprendre à connaître de nouveaux visages. Si on veut que les gens se croisent souvent, il faut porter une grande attention à la planification de tous ces endroits publics (marchés, places) qui servent de lieux de rencontre.

Le sentiment d’intégration ne vient pas seulement des amis très proches qu’on s’est faits, mais aussi de tout ce réseau de relations informelles qu’on se crée au fil du temps avec ses voisins, ses collègues, etc. C’est tout ce maillage qui donne l’impression qu’on appartient au tissu social.

 

Source: Cet article a été publié dans le numéro de mai 2022 de L’actualité, sous le titre « Voir un ami s’intégrer »,

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