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Moins de racisme au travail, vraiment ?

Les Canadiens noirs seraient nombreux à observer une diminution du racisme au travail, selon un récent sondage. Trois experts relativisent toutefois ces améliorations et craignent qu’elles ne disparaissent lors du retour au bureau.

Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, de nombreuses entreprises canadiennes s’étaient engagées à devenir plus inclusives. L’Initiative BlackNorth, par exemple, qui veut faire tomber les barrières auxquelles se butent les Noirs, comptait déjà plus de 350 sociétés participantes en 2020, dont Desjardins, Molson Coors, CAE et Air Canada. Leurs promesses n’étaient pas que des paroles creuses, selon un sondage publié en février par le cabinet de conseil KPMG au Canada.

Près de sept Canadiens noirs sur dix affirment que leur employeur est devenu plus équitable et inclusif envers les salariés noirs depuis 18 mois, et que les gestionnaires et hauts dirigeants comprennent mieux les obstacles systémiques auxquels ils se heurtent. Les deux tiers croient aussi que leur organisation fait de véritables efforts pour embaucher plus de travailleurs noirs.

Les résultats de ce sondage mené entre le 22 décembre 2021 et le 7 janvier 2022 auprès de plus de 1 000 Canadiens noirs, dont environ la moitié âgés de 35 à 55 ans, semblent de prime abord réjouissants, mais il faut les prendre avec un grain de sel, selon Angelo Soares, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. « Selon Statistique Canada, la résilience des Noirs au Canada est beaucoup plus grande que celle du reste de la population ; ils sont également plus nombreux à toujours tirer des leçons positives des expériences négatives. Ça teinte leurs réponses », estime le chercheur.

Roberson Édouard, chercheur senior à l’Observatoire québécois des inégalités, croit que deux éléments principaux expliquent les résultats du sondage. « La loi sur l’accès à l’égalité en emploi, qui vise à contrer la discrimination systémique, oblige les employeurs à améliorer leurs pratiques. Depuis l’assassinat de George Floyd aux États-Unis, les employeurs ont aussi pris conscience de leurs responsabilités en matière de racisme », expose-t-il.

L’avantage du télétravail

« La réalité des personnes victimes de racisme au bureau change radicalement lorsqu’elles travaillent de la maison », constate Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal. Loin des collègues, des supérieurs et des clients, beaucoup ont trouvé la paix : près de 70 % des répondants ont subi moins de microagressions ou d’actes de racisme au travail, sinon aucun, dans les 18 derniers mois.

L’experte en discrimination à l’égard des minorités visibles et en équité en emploi craint néanmoins que ce gain ne soit que temporaire. « Si des mesures claires n’avaient pas déjà été prises par les gestionnaires avant la pandémie pour contrer le racisme, ces améliorations pourraient disparaître complètement ou s’atténuer lors du retour en présentiel. »

Cet avis est partagé par Roberson Édouard. « Le fait d’être moins en contact avec les collègues peut entraîner une désescalade des tensions. Si c’est le cas, il faut s’attendre à un revirement de situation lorsque les mesures sanitaires seront levées », croit-il.

Pour éviter de revenir à la case départ, les entreprises doivent être dotées d’objectifs bien définis pour combattre les mauvaises pratiques, et les supérieurs doivent répondre de leurs décisions en matière de diversité, explique Marie-Thérèse Chicha. Surtout, elle estime que c’est l’engagement sans équivoque de la haute direction qui a le plus de poids. « Les études montrent que si, par exemple, le PDG affirme clairement que l’équité est importante pour lui et qu’il faut atteindre des cibles précises, ça va se répercuter sur l’ensemble de l’organisation. »

Plus d’efforts pour la même reconnaissance

Selon le sondage, 74 % des Canadiens noirs ont déclaré se sentir aussi appréciés et respectés que leurs collègues, mais une proportion presque égale (70 %) estime devoir travailler plus fort que ses pairs pour mériter ce même respect.

Ces données font tiquer Angelo Soares. « Ça veut dire que leur charge de travail est plus élevée. Ils doivent arracher cette reconnaissance », déplore l’expert en harcèlement et en racisme au travail. Il y voit un parallèle avec les femmes, qui doivent encore en faire beaucoup plus que les hommes pour être reconnues, dit-il.

Marie-Thérèse Chicha rappelle que de nombreuses études scientifiques font état du fait que les personnes issues de minorités visibles ne sont pas évaluées de la même façon que leurs collègues blancs. « Il y a plus d’exigences envers les groupes racisés. Le sondage le montre aussi. »

Quand on leur demande si les efforts de leur employeur se traduisent par de meilleures possibilités d’emploi, près de quatre répondants sur dix affirment d’ailleurs que rien n’a changé et que les obstacles systémiques continuent de freiner leurs progrès, et près de un sur dix croit que les choses ont empiré. Seulement 35 % estiment que leurs chances de promotion et d’avancement se sont améliorées.

À la recherche de modèles

Pour changer la donne, 84 % des répondants au sondage estiment qu’il devrait y avoir davantage de Canadiens noirs dans les conseils d’administration ou dans les hautes directions. « C’est un élément crucial, acquiesce Angelo Soares. Combien de PDG noirs êtes-vous capable de nommer ? La situation des Noirs sur cette question est encore plus à la traîne que celle des femmes. Il y a beaucoup de chemin à faire. »

À preuve, une étude du Diversity Institute de l’Université Ryerson à Toronto révèle que les Noirs sont nettement sous-représentés dans les conseils d’administration à Montréal, n’occupant que 1,9 % des sièges, alors qu’ils composent 6,8 % de la population. Les chercheurs n’ont trouvé aucun Noir au sein des conseils d’administration dans les secteurs privé et bénévole, le milieu hospitalier ou le domaine de l’éducation dans la métropole du Québec.

Parmi les autres mesures souhaitées, la majorité des répondants aimeraient que leur employeur augmente la sensibilisation et la formation des employés et des gestionnaires en matière de lutte contre le racisme. Plusieurs voudraient qu’on fasse en sorte que les équipes de direction « passent de la parole aux actes ».

Marie-Thérèse Chicha croit aussi qu’on doit aller plus loin. « Ça fait au moins 30 ans qu’on parle de sensibilisation et de formation. Un peu comme pour l’équité salariale, les entreprises devraient être obligées de mettre en place un programme de diversité en emploi. »

Roberson Édouard prône pour sa part l’instauration d’une « mesure toute simple » qui n’a pas été proposée par les répondants : la tolérance zéro en matière de racisme en entreprise, comme ça a déjà été appliqué pour le harcèlement au travail. « À mon avis, ça aurait un impact majeur dans les relations de travail et dans le traitement des groupes racisés. »

Malgré tout, Angelo Soares demeure optimiste. « Au fur et à mesure que les employés noirs vont avancer dans l’organisation, la culture va se transformer aussi, croit-il. Mais pour que de vrais changements s’amorcent, il faut faire de la lutte contre le racisme une priorité du côté des ressources humaines, comme l’ont relevé les répondants. Il faut éliminer la barrière, parfois inconsciente, entre les races. »

Source: L’actualité, Emilie Laperrière, 14 mars 202

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