Les biais inconscients, comment les démasquer ?
Un jour dans un petit village, le curé de l’unique paroisse, qui habitait sur une colline, a vu venir par sa fenêtre l’ivrogne du village. Arrivant en titubant, un journal dans les mains, l’ivrogne posa une question au curé qui l’attendait de pieds fermes devant la porte de son presbytère : monsieur le curé, qu’est-ce qui cause de l’arthrite? Illico, le curé répond : s’enivrer tous les jours, ça cause de l’arthrite; dormir dehors, ça cause de l’arthrite; courir les femmes, ça cause de l’arthrite, manger n’importe quoi, ça cause de l’arthrite. Après cette litanie moralisante, l’ivrogne semblait abattu et s’apprêtait à rebrousser chemin lorsque le curé lui demanda pourquoi il posait cette question. Et lui de répondre, c’est parce que dans le journal que je viens de lire on déclare que le pape souffre de l’arthrite!
Dans cette histoire, le comportement spontané que le curé a eu à l’égard de l’ivrogne est induit par un biais inconscient. Les biais inconscients sont des raccourcis mentaux que nous prenons involontairement et qui nous permettent de faire des jugements rapides face à une panoplie d’informations, que nous ne pouvons pas consciemment analyser de façon efficiente.
Plusieurs recherches ont démontré que nous catégorisons instinctivement les personnes en utilisant des critères faciles à observer tels que l’âge, le poids, la couleur de la peau et le sexe. Mais nous classons également les personnes en fonction du niveau d’éducation, du handicap, de la sexualité, de l’accent, du statut social et du titre de l’emploi, attribuant automatiquement des traits présumés à toute personne que nous mettons inconsciemment dans ces groupes.
Nous pouvons saisir 40 informations par seconde tandis que notre inconscient peut en capter 11 millions. Alors face à une si grande quantité d’informations et une capacité limitée de les analyser individuellement, notre cerveau crée des raccourcis qui facilitent la prise de décision, ce qui est majoritairement entrepris par notre inconscient.
Ces biais cognitifs ne sont pas conscients mais vont induire en erreur notre perception, notre évaluation ou encore notre interprétation logique. Sans la capacité du cerveau à traiter inconsciemment des milliers d’informations en un instant, nos ancêtres n’auraient pas pu survivre. La même capacité nous permet maintenant de passer à travers la journée sans avoir à traiter lentement chaque décision que nous prenons.
L’avantage de ce système est qu’il permet d’économiser du temps et de l’effort à traiter beaucoup d’informations, ce qui permet de consacrer plus de ressources mentales à d’autres tâches. Le désavantage évident est que cela amène à faire des suppositions et à prendre des mesures en fonction de ces biais. Il en résulte une tendance à s’appuyer sur des stéréotypes, même si nous n’y croyons pas consciemment.
Les biais inconscients sont présents chez tous les êtres humains. C’est normal et ceux-ci ont été développés à travers le temps pour nous aider à survivre et à rapidement identifier le danger ainsi que les meilleures options.
Toutefois, ça peut nous jouer des tours car ce qui est considéré dangereux n’est pas toujours défini de façon objective au niveau de la société. Le danger est une construction sociale, donc ce qui peut être perçu comme dangereux est un reflet de la culture, des médias ou encore de la politique, par exemples.
Les milieux de travail sont propices aux biais inconscients. Parmi tous les biais qui existent, les trois suivants sont plus fréquents :
● Biais d’affinité : ce biais consiste à l’attraction naturelle vers les personnes qui nous ressemblent. Selon le contexte, cette ressemblance peut prendre la forme d’appartenance à la même culture que nous, parler la même langue, être de la même race, du même sexe ou de la même orientation sexuelle, mais surtout partager les mêmes opinions ou façons de penser. Sans s’en rendre compte, les biais d’affinité conduisent souvent au cloisonnement et à la création de silos dans le milieu de travail particulièrement.
● Biais de confirmation : ce biais fait référence à la tendance à rechercher, interpréter, se concentrer et se souvenir de l’information d’une manière qui confirme nos préjugés. Par exemple, je faisais partie d’un conseil d’administration où nos rencontres se tenaient le matin au centre-ville de Montréal. Habitant loin de là, je devais traverser un pont et beaucoup de trafic. Même si je m’organisais souvent pour être à l’heure et même avant l’heure convenue, lorsque j’avais le malheur d’arriver ne fut-ce que 5 ou 10 minutes en retard, les collègues faisaient des boutades sur mes origines africaines pour expliquer le fait que j’étais en retard. Alors qu’un autre collègue qui habitait proche arrivait souvent en retard, mais pour lui tout le monde trouvait cela compréhensible car il avait une jeune famille!
Les biais de confirmation sont ainsi très sournois car sans s’en rendre compte, lorsque nous prenons une décision ou formons une opinion sur quelque chose, nous avons tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances et négligeons les informations qui leur sont défavorables.
● Biais de genre : ce biais consiste à avoir des attentes ou à interpréter les comportements des collègues selon des stéréotypes bien arrêtés. Par exemple, un préjugé sexiste qu’on observe souvent dans les milieux de travail lorsqu’une femme s’affirme et a une personnalité autoritaire, est qu’elle peut être perçue comme «agressive». Alors qu’un homme ayant les mêmes attributs peut être décrit comme «confiant».
Malgré les discours de convenance et les lois qui encadrent de plus en plus nos relations sociales pour vivre en harmonie et de façon civilisée, notre inconscient a ses propres règles et se retrouve souvent en dualité avec ce qui est « raisonnable ». Les biais inconscients révèlent souvent nos vraies croyances. Pour les faire évoluer, la condition primordiale est d’abord de reconnaître que l’autre n’est qu’un déclencheur et non la source de mon problème. Comme disait une dame ivre à son mari au milieu d’une soirée bien arrosée : « chéri, il faudrait que t’arrêtes de boire : tu commences déjà à avoir l’air flou! ».
Rédigé par Hubert M. Makwanda, M.Éd. | CRHA en 2018
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