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L’idée de race, entre vie et mort

L’idée de race est l’une des manières d’appréhender et de construire la différence au sein de l’humanité. Elle permet de la découper en catégories, qui varient selon les époques, pour les classer les unes par rapport aux autres. Elle permet d’assigner des identités sociales qui nous collent à la peau. Qu’on le veuille ou non. L’Histoire nous apprend ceci : l’État moderne et colonial et les sciences ont défendu, plus particulièrement depuis le XVIIIe siècle en Europe et en Amérique du Nord, l’idée que la couleur de peau déterminerait des caractéristiques esthétiques, intellectuelles, physiques, morales et culturelles. L’idée de race a ainsi permis à l’État et à ses institutions, au cours de l’Histoire, de caractériser les individus selon leur couleur (voire leur langue ou leur origine géographique), individus qui formeraient des groupes porteurs de certains attributs.

Le processus de racialisation revient à fragmenter et à découper et, comme disait Michel Foucault, à provoquer une césure au sein de l’humanité en tant que continuum biologique. Voilà la première fonction du racisme, écrivait-il. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car certains, par leurs qualités, vaudraient mieux que d’autres. Ainsi, toujours selon M. Foucault, la seconde fonction du racisme établit des rapports de vie et de mort. Le racisme est vu comme une condition de la mise à mort. Le racisme est un pouvoir visant à légitimer la supériorité des uns et l’infériorité des autres et, par-là même, à justifier les mauvais traitements à leur égard. […]

L’idée de race n’a pas seulement permis d’instrumentaliser les différences, mais a aussi contribué à façonner la hiérarchie sociale et ainsi à produire des inégalités au sein des populations humaines, globalement. Il fut un temps, pas si lointain, où les États modernes, les mêmes qui allaient, paradoxalement, défendre à coups de révolutions les droits de la personne universels, promulguaient des codes qui équivalaient à légaliser le racisme. La possibilité d’avoir des droits et de bénéficier de libertés et de privilèges dépendait de notre couleur de peau. Toutes les sociétés coloniales modernes, qu’elles soient anglaises, américaine, belge, canadienne, espagnoles, françaises, ou encore hollandaises ont mis en œuvre la violence et la terreur pour assoir leur domination sur les populations autochtones ou déplacées, par la traite transatlantique, de l’esclavagisme ou encore du travail forcé, selon les contextes. Le dénominateur commun : la couleur de peau.

Le racisme contemporain

Aujourd’hui, ces mêmes sociétés anciennement (ou pour certaines encore) colonisatrices, se servent de travailleurs étrangers temporaires issus des anciennes colonies pour participer au fonctionnement de leur système capitaliste. À bas prix. Celles-là contribuent aussi, d’une manière ou d’une autre, à des guerres interminables au Moyen-Orient ou en Afrique subsaharienne, facteurs d’émigrations pour beaucoup qui mourront en mer ou se verront parqués dans des camps dans des conditions inhumaines.

Toutes les institutions des sociétés dites démocratiques – l’éducation, l’emploi, le travail, le logement, la santé, et la police – sont encore, aujourd’hui, imprégnées par ces rapports de pouvoir. Bien sûr, le racisme n’est plus l’apanage de la région du monde que l’on qualifie d’Occident. Bien sûr, le racisme se mêle à d’autres formes de pouvoir. Bien sûr, des choses ont changé. On n’est plus au XIXe siècle quand les sciences mesuraient les boîtes crâniennes pour classer l’humanité en races (dont les étiquettes ont changé) et légitimaient ainsi, à leur façon, le racisme.

Toutefois, la situation dans certains pays, comme les États-Unis ou le Brésil, la montée des extrémismes de droite en Europe, l’existence de réserves autochtones en Amérique du Nord et la violence policière à l’égard de certains, plus particulièrement ceux et celles qui n’ont pas la bonne pigmentation, nous permettent de dire que l’idée de race et le racisme imprègnent encore et toujours les sociétés modernes et leurs institutions.

Si la violence policière ne s’explique peut-être pas simplement et uniquement par le racisme, il ne fait aucun doute qu’elle en est en partie l’expression ; les chiffres et les faits, passés et présents, sont là pour le démontrer. Aux États-Unis, comme au Québec et ailleurs en Europe. L’un des grands défis qui se posent à nos sociétés est la manière de se débarrasser du racisme et de son corolaire, l’idée de race. Paradoxalement, depuis plus récemment, cette idée, historiquement associée à la mise à mort, est aujourd’hui instrumentalisée à des fins d’équité. Cette forme d’identification représente même, pour certains, une manière de se situer dans l’Histoire. Mais si la race est là, le racisme n’est jamais loin. Comment se défaire de ce déterminisme qui nous colle à la peau et qui régit une partie des rapports sociaux quotidiens, pour le meilleur et pour le pire ? Là est la question fondamentale.

Source: LeDevoir, Patrick Cloos, Professeur à l’École de santé publiqueet à l’École de Travail social, Universitéde Montréal, 5 juin 2020

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